monotone press

Aperto : – Pourquoi vouloir créer monotone press ?

Eric Watier : – En fait c’est assez simple. Mon travail sur l’édition (la gratuité, le copyleft, les modes d’emplois, la discrétisation technique, etc.) m’a amené à une série de conclusions qui aujourd’hui semblent inévitables. Pour aller vite, le travail sur la gratuité que je poursuis depuis des années est arrivé à ce point de contradiction où, pour rester pertinent, il doit absolument aller se frotter à la marchandise.

Il est clair pour moi que ce qui caractérise le numérique, c’est la séparation définitive du contenu et des supports. La conclusion que j’en tire aujourd’hui c’est que les contenus doivent rester libres, absolument. Que seuls les singularisations de ces contenus peuvent devenir des objets spécifiques et donc propriétaires, ou privateurs comme dirait Richard Stallman. Et seul ces objets rendus spécifiquement privateurs (du fait de leur actualisation sur un support matériel par exemple) peuvent faire l’objet d’un commerce (si on veut faire du commerce).

Nous devons donc absolument imaginer une économie nouvelle où les objets sont à la fois totalement disponibles et où, dans un même temps, ils peuvent faire l’objet d’une matérialisation toujours singulière mais pourtant toujours illimitée. Cette économie d’abondance immatérielle inappropriable est dans le même temps une économie d’appropriations successives, mais jamais exclusives.

Il me semble donc nécessaire, pour que les choses soient tout à fait claires, de créer une structure de diffusion de contenus, dans laquelle n’importe qui pourrait aller chercher de quoi réaliser les objets spécifiques qui peuvent l’intéresser : livres, affiches, cartes, bref toute sorte d’objets imprimés. Cette structure c’est monotone press.

Aperto : – Tu peux être plus précis ?

Eric Watier : – monotone press est pensé comme un site de visualisation, de diffusion et d’impression en ligne.

Tout le site (qui n’est pas encore au point, mais déjà en ligne) est placé sous le régime du droit français, c’est-à-dire sous le régime du droit moral. Il n’y en a pas de supérieur. Tous les autres droits (copyright, copyleft, creative commons) ne sont que des appauvrissements du droit moral. Quelque soit sa forme, le droit anglo-saxon reste un droit de l’objet et pas un droit de l’auteur. Le droit français ne conçoit pas de séparation entre un auteur et ce qu’il fait. Ce qu’il fait est inséparable de qui il est.

Le droit moral est un droit dont le degré de liberté ne dépend que de l’auteur. Il peut être totalitaire ou totalement libre. Il peut être totalitaire pour certains et libre pour tous les autres.

Je suis fondamentalement pour un droit d’auteur où l’auteur est libre de gérer ses droits comme bon lui semble.

Pourquoi devrais-je décider à priori de ce qu’on peut faire ou ne pas faire avec monotone press ? Il vaut mieux décider à posteriori. A priori tout est permis. On verra bien si une utilisation apparaît scandaleuse ou malhonnête.

Aujourd’hui je peux le dire : vous pouvez faire tout ce qui vous plaira de monotone press sauf ce qui ne me plait pas.

Cette liberté ne plait visiblement pas à tout le monde. Ce qu’Hadopi (c’est-à-dire ce que l’industrie culturelle via Hadopi) essaie de tuer c’est le cinéma sans l’industrie du cinéma, l’édition sans l’industrie de l’édition, la musique sans l’industrie du cinéma.

Ce qui est menacé par le numérique ce n’est pas l’art, c’est l’industrie de l’art telle qu’elle existe aujourd’hui, c’est-à-dire telle qu’elle domine notre subjectivité.

Une fois de plus ce qu’on essaie de nous voler c’est notre liberté possible.