architectures remarquables

De quoi s’agit-il? De choses très banales. Des bâtiments sans qualité. Des architectures quelconques. Pourtant cette banalité est relevée par une photographie. Mieux : par une carte postale.
Les « cahiers d’architectures remarquables » ne sont qu’une réédition modifiée de cartes postales du commerce.
Cette mise en vue par la carte postale pose problème. Comment des choses aussi peu remarquables se voient-elles éditées par la carte postale? Et qu’est ce que cette édition veut dire?
Ce qui n’est jamais retranscrit dans les cahiers c’est la légende. Ces trois lignes qui figurent imanquablement au verso de la carte.
Dans l’ordre (cahiers 1 à 6) on pouvait lire : « 30660 – GALLARGUES-LE MONTUEUX La Clinique « Les Oliviers » Téléphone : 88.60.30″ ; « ST-BLANCARD (Gers) Le « relais du Chäteau » ; « 34-CL-5 – CASTELNAUX-LE-LEZ (Hérault) La Résidence Cantegril » ; « Domaine de la M.G.E.T. Altitude 425 m. ASPIN-EN-LAVEDAN 65100 – LOURDES Tél. (62) 94.15.09 Maison de Vacances » ; « Kirkenes Turisthotell. Kirkenes. » ; « 81-S.P T-1006 – SAINT PIERRE DE TRIVISY (Tarn) Les Gîtes ».
La seule présence de cette légende justifie l’existence de la carte. C’est parce que le bâtiment sert à quelque chose (repos, soins, restauration) qu’il est édité par la carte. La qualité architecturale est sans importance.
Alors comment penser la carte postale lorsqu’elle est l’index d’un monument? Sans doute de la même façon. Une fois de plus la réponse n’est pas dans l’image. L’image muette ne nous apprend rien. Elle reste flottante. La légende des cartes postales ne fait que nous signaler la raison d’être de la carte. Elle en justifie l’existence. L’image (comme l’architecture) n’est remarquée qu’à partir du moment où sa fonction est remarquable. C’est la seule utilité de l’image. Contre toute attente il n’y a aucun critère esthétique qui précède de telles images. Savoir si le bâtiment est beau ou pas n’a aucun intérêt. Son existence par l’image, sa considération par l’image n’est qu’une preuve d’attention à sa fonction. On est toujours dans une faillite du regard où l’image n’est là que pour faire illusion sur sa propre qualité. Rendre l’image muette, lui enlever sa légende, rendre l’architecture muette de sa fonction, c’est la faire passer de fait dans le champs esthétique. Plus de valeur d’usage, rien qu’une valeur d’échange.
Serge Daney a raison lorsqu’il parle d’équivalence des cartes postales et de l’équivalence que cette forme de présentation impose à ce qu’elle présente.
La carte postale est un lieu paradoxal. Elle ne vaut ni par l’image qu’elle offre (en général un lieu d’une grande conventionalité ou d’une grande banalité) ni par ce qui est inscrit par l’expéditeur (« je vais bien. Bon baisers de Saint Denis »), elle ne vaut que par le geste qu’elle incarne : acheter, rédiger, poster. Elle fait le constat de ce geste de relation d’un expéditeur à un destinataire. Sa valeur informative est quasi nulle. Les cahiers fonctionnent de la même façon. Il ne font jamais que constater ceci : « je suis ici », « je fais ça », « je vous l’adresse ».