(texte pour l’atelier [FIC·ATT] sur les modes d’existence, avec Bruno Latour, Patrice Maniglier…)
A quoi tenons-nous ?
En 1953 Willem De Kooning donne un dessin à Robert Rauschenberg pour qu’il le gomme.
A quoi tenons-nous ?
Le 22 juin 1954 André-Frank Connord, Mohamed Dahou, Guy-Ernest Debord, Jacques Fillon, Patrick Straram et Gil J. Wolman envoient gratuitement le numéro un de la revue Potlatch à cinquante personnes. Les 28 numéros suivants seront aussi adressés gratuitement.
A quoi tenons-nous ?
Juin 1958 : la page deux du numéro un de la revue Internationale Situationiste porte la mention suivante : “Tous les textes publiés dans Internationale Situationniste peuvent être librement reproduits, traduits ou adaptés, même sans indication d’origine.” Cette mention est reproduite dans tous les numéros de la revue jusqu’au dernier en 1969.
A quoi tenons-nous ?
En juillet 1959 Jean Tinguely présente chez Iris Clert Méta-matics : des machines à peindre et à dessiner en libre service.
A quoi tenons-nous ?
Le 2 octobre 1959 s’ouvre la première Biennale de Paris. Jean Tinguely y présente (à l’extérieur du musée) la machine Méta-matic 17 qui distribue quarante mille dessins.
A quoi tenons-nous ?
Le 21 juillet 1960 Piero Manzoni organise un happening à la Galleria Azimut de Milan : Consommation de l’art dynamique par ses spectateurs même dévoreurs d’art.
Après avoir apposé l’empreinte de son pouce sur des œufs durs, il les donne à manger aux spectateurs.
Le rituel est répété à Copenhague en 1961.
A quoi tenons-nous ?
En septembre 1960 JeanTinguely donne dans le catalogue de son exposition au Museum Haus Lange toutes les instructions pour réaliser soi-même un Relief méta-matic.
A quoi tenons-nous ?
En juillet 1961 à Nice au cours du Premier festival de Nouveau Réalisme, Raymond Hains distribue des parts de Entremets de la Palissade.
A quoi tenons-nous ?
Entre 1961 et 1965 Arthur Koepcke fabrique 21 tampons dont un portant la mention :
sample
with no value
A quoi tenons-nous ?
De retour à Paris fin 61, Robert Filliou diffuse sous forme d’envois postaux L’homme est solitaire, premier “poème-suspense”.
A quoi tenons-nous ?
Entre 1962 et 1980 Ben crée 48 tampons dont un portant la mention :
CADEAU
DE BEN
et un autre :
proposition d’échange
n°………………………….
A quoi tenons-nous ?
Par principe les textes Fluxus ne sont soumis à aucun copyright. Aujourd’hui encore n’importe qui peut utiliser l’appellation “Fluxus”.
A quoi tenons-nous ?
A Kyoto en 1964, au cours de l’action Cut piece, Yoko Ono invite le public à découper et à prendre un bout de ses vêtements.
A quoi tenons-nous ?
A l’occasion d’un concert Fluxus organisé par Knizak à Pragues en 1966, Serge III Oldenbourg donne son passeport et son costume à un soldat Tchèque. Dénoncés, Knizak et Serge III sont arrêtés puis enfermés. Serge III est libéré après quatorze mois de prison (il est échangé contre un espion).
A quoi tenons-nous ?
Entre janvier et avril 1968 Daniel Buren envoie par la poste des papiers rayés blancs et verts, sans indication d’origine.
A quoi tenons-nous ?
Le 10 mai 1968 On Kawara envoie la première carte postale de la série “I GOT UP AT…”. Beaucoup suivront.
A quoi tenons-nous ?
En 1968 à Paris dans Y a -t-il de la vie sur terre ?, Jochen Gerz envoie environ huit cents sacs plastiques à des personnes connues ou inconnues. Il leurs demande de les remplir avec “les reliques de leur vie qui les encombrent”. Il se propose d’enterrer ces reliques sous le béton, à quarante mètres sous terre.
A quoi tenons-nous ?
Parmi les idées de Ben il y a celle-ci : “Cette idée est gratuite, vous pouvez la prendre. 1969.”
A quoi tenons-nous ?
Depuis 1969 Lawrence Weiner donne certains de ses travaux au domaine public (ils sont accompagnés de la mention “Collection Public Freehold”).
A quoi tenons-nous ?
En 1969 à Nüremberg, Daniel Spoerri organise des marchés basés sur le troc qu’il appelle Kularings et où il échange ses fétiches contre ceux du public.
A quoi tenons-nous ?
En mai 1969 Christian Boltanski publie son premier livre Recherches et présentation de tout ce qui reste de mon enfance 1944-1950. Il en envoie 150 par la poste.
A quoi tenons-nous ?
Le 6 novembre 1969 Michel Journiac crée Messe pour un corps à la Galerie Daniel Templon à Paris, où il distribue des hosties de boudins faites avec son sang.
A quoi tenons-nous ?
Le 5 décembre 1969 On Kawara envoie à Michel Claura le télégramme : “I AM NOT GOING TO COMMIT SUICIDE DONT WORRY ON KAWARA”, le 8 décembre : “I AM NOT GOING TO COMMIT SUICIDE WORRY ON KAWARA” et le 11 décembre : “I AM GOING TO SLEEP FORGET IT ON KAWARA”.
A quoi tenons-nous ?
En décembre 1969, Gordon Matta-Clark fait frire quelques photos avec des feuilles d’or. Il les enverra comme cadeaux de noël à ses amis.
A quoi tenons-nous ?
En 1970 On Kawara envoie le premier télégramme de la série “I AM STILL ALIVE ON KAWARA”. Beaucoup suivront.
A quoi tenons-nous ?
Le 11 janvier 1970 Christian Boltanski envoie Lettre manuscrite demandant de l’aide à trente personnes.
A quoi tenons-nous ?
En mars 1970 Christian Boltanski et Jean Le Gac envoient, sans explications, une cinquantaine de clefs permettant aux destinataires de pénétrer dans un appartement de la Rue Rémy Dumoncel. Il n’y a rien d’autre à voir qu’un mannequin à la fenêtre.
A quoi tenons-nous ?
En octobre 1970 à Düsseldorf Daniel Spoerri fabrique mille nanas en sucre coloré pour fêter une exposition de Niki de Saint-Phalle. C’est le début de la Eat Art Gallery. De nombreux artistes y élaboreront des œuvres comestibles.
A quoi tenons-nous ?
En octobre 1970 à Milan pour le Xe anniversaire du Nouveau Réalisme, Daniel Spoerri prépare un repas Eat-Art, Restany y reçoit un tiare pontificale en pain de Gênes.
A quoi tenons-nous ?
En 1971 Gordon Matta-Clark distribue de l’air pur aux passants des rues de New-York.
A quoi tenons-nous ?
En 1971 lors de son exposition Commemor à Aix-La-Chapelle, Robert Filiou propose aux pays qui songent à faire la guerre d’échanger leurs monuments aux morts, avant et au lieu de la faire.
A quoi tenons-nous ?
Pour la Noël 1971 Gino De Dominicis fait l’envoi suivant : “Gino De Dominicis souhaite à tous l’immortalité du corps”.
A quoi tenons-nous ?
En mars 1972 Michel Journiac réalise Hommage à Freud (Constat critique d’une mythologie travestie). Cette œuvre est d’abord divulguée par envoi postal.
A quoi tenons-nous ?
En 1972 et 1973 Jonier Marin laisse par terre des pièces de 100 lires (le prix d’un expresso) et photographie les passants qui se baissent pour les ramasser. Cette action (comme d’autre actions de Jonier Marin) a pour titre Money Art Service.
A quoi tenons-nous ?
Le 14 décembre 1976 Chris Burden envoie cent billets neufs de dix dollars à cent personnes : des gens du milieu de l’art, des amis et des gens du monde des affaires. L’argent est envoyé dans une enveloppe ordinaire avec au verso la mention : “Chris Burden – 823 Oceanfront Walk – Venice California 90291 – USA”, et à l’intérieur une carte portant la mention : “Merry Christmas from Chris Burden” (qui est aussi le titre de l’action).
A quoi tenons-nous ?
Le 6 octobre 1978, au cours d’une action appelée In Venice money grows on trees, Chris Burden et deux de ses amis, collent cent billets neufs de un dollar aux feuilles de deux palmiers de la promenade de Venice. Bien que les billets soient visibles et à portée de main certains resteront en place pendant deux jours.
A quoi tenons-nous ?
En 1978 Maurizio Nannucci publie Art as social environement, un livre de 160 pages détachables à distribuer comme des tracts avec en rouge : ART AS SOCIAL ENVIRONEMENT (MAURIZIO NANNUCCI).
A quoi tenons-nous ?
En 1982 Karel Rösel se promène à Beaubourg avec un sac où est inscrit : “100 F A OFFRIR”. Personne n’a pensé à le réclamer.
A quoi tenons-nous ?
En 1984 Cildo Meireles crée le billet de zéro Dollar.
A quoi tenons-nous ?
En 1984 à la FIAC, le public est invité à prendre et à tremper, dans l’huile d’olive, les petits buvards imprimés que Joseph Beuys expose chez Lucrezia de Domizio.
A quoi tenons-nous ?
En 1988 Felix Gonzalez-Torres expose une pile de photocopies (15,2 x 21,6 x 27,9 cm) posée sur un socle (76,2 x 24,1 x 31,7 cm). Les spectateurs sont invités à prendre les feuilles ainsi présentées.
Depuis cette date et jusqu’à sa mort en 1996, Felix Gonzalez-Torres créera régulièrement des sculptures faites de posters, de livres ou de bonbons. Les spectateurs peuvent prendre ce que bon leur semble, le rôle du propriétaire de l’œuvre étant (s’il le désire) de la maintenir dans son état idéal.
A quoi tenons-nous ?
En 1989, Michael Asher est invité par le Nouveau Musée de Villeurbanne (fermé pour travaux) à réaliser une œuvre publique. Il fait distribuer gratuitement aux habitants du quartier sept cents objets en fonte d’acier portant les inscriptions suivantes :
“SE LOGER EST UN DROIT !
N’ACCEPTEZ PAS L’EXPULSION
OU LA DISCRIMINATION
RENSEIGNEZ VOUS AUPRES DE :
ACTION LYONNAISE POUR
L’INSERTION SOCIALE PAR LE
LOGEMENT : 78 38 26 38
ASSOCIATION VILLEURBANNAISE
POUR LE DROIT AU LOGEMENT :
78 94 95 61”
Sur le dessous :
“CET OBJET A ETE COULE A PARTIR DE LA FONTE DES ANCIENNES CHAUDIÈRES DU NOUVEAU MUSEE A VILLEURBANNE AU DEBUT DE SA RENOVATION EN FEVRIER 1991.
IL EST DESTINE A ETRE DISTRIBUE GRATUITEMENT AUX RESIDENTS A REVENUS MODESTES DONT LE DROIT AU LOGEMENT EST MENACE.”
A quoi tenons-nous ?
A la page sept de ses Œuvres complètes tome 8 (Houit), Lefred Tourron présente la pièce de zéro franc :
“La pièce de zéro franc : celle qu’on rend quand c’est juste.”
A quoi tenons-nous ?
C’est en novembre 1990, que James Lee Byars présente et distribue son livre P.I.I.T.L. (Perfect Is In The Louvre), à la Bibliothèque Nationale de Florence.
A quoi tenons-nous ?
En 1990 à la sortie du métro de Mexico, Francis Alÿs propose Troc. Il tend aux passants une paire de lunettes. En échange on lui donne un jouet qu’il troque successivement contre une cruche, une peluche, un chapeau, une chemise, un sandwich, des sandales, une torche et un paquet de cacahuètes.
A quoi tenons-nous ?
En 1991, sous le pseudonyme d’Evelyne Durand, Tania Mouraud organise dans toute la France une chaîne d’affichage : toute personne qui le désire reçoit 50 Faire-parts qu’il doit afficher dans la rue. Les faire-parts reprennent les prénoms des victimes et les dates de crimes racistes commis en France entre 1980 et 1990.
A quoi tenons-nous ?
En 1991 Clegg & Guttman installent une bibliothèque en extérieur sous la forme d’une simple vitrine remplie de livres. Les livres, prêtés par les riverains, peuvent être empruntés à volonté. Une photo grandeur nature de la vitrine remplie est par ailleurs présentée dans une salle d’expositions de Graz.
A quoi tenons-nous ?
Depuis 1992 Roberto Martinez présente des piles imprimées en distribution libre. Elles sont accompagnées d’un tronc pour recueillir les dons en échange.
A quoi tenons-nous ?
En 1993 Antonio Gallego produit et distribue ses premiers tracts. Cette action collective se poursuit encore aujourd’hui sous l’appellation Tract’eurs.
A quoi tenons-nous ?
Depuis 1993 Roberto Martinez produit et offre gratuitement des buvards imprimés. Il distribue aussi des tracts.
A quoi tenons-nous ?
Le 1er janvier 1994, dans son action Money for art, Lee Mingwei donne neuf sculptures en papier (des origamis en billets de un dollar) à Tony, Sophia, Francisca, Kan, Adi, John, Frank, Jay et Jennifer. Six mois plus tard seuls Kan et Jennifer ont dépensé leurs sculptures.
A quoi tenons-nous ?
En 1995, Claude Levèque fait imprimer Nous voulons en finir avec le monde réel, 3000 affiches offset mises à disposition du public lors de concerts.
A quoi tenons-nous ?
Le 6 novembre 1995 Antonio Gallego donne rendez-vous à une dizaine d’artistes Place de la République pour distribuer mille œuvres-tracts aux passants parisiens.
A quoi tenons-nous ?
Depuis le milieu des années 90, Matthieu Laurette essaie d’enseigner à qui veut l’apprendre l’art de “vivre remboursé”.
A quoi tenons-nous ?
En 1995 avec le premier geste ECONOMIE : 100 x 5 FRANCS, les Acolytes de l’art distribuent gratuitement à la sortie du métro sur les Champs Elysées, cent enveloppes contenant chacune une pièce de cinq Francs et un énoncé du geste. Il n’y a aucune trace de cette action (ni des autres gestes ECONOMIE). L’achat de l’œuvre ne peut se faire que par la répétition du geste pour un montant double du montant initial, et ce à chaque acquisition.
A quoi tenons-nous ?
Depuis 1996 Roberto Martinez offre gratuitement des autocollants.
A quoi tenons-nous ?
Depuis mars 1997 Véronique Hubert produit des tracts qu’elle distribue, parfois en public, devant les FNAC, ou dans les galeries, les magasins etc…
A quoi tenons-nous ?
Le vendredi 23 janvier 1998 chez Medamothi Artistic Cockpit à Montpellier on distribue le numéro 1 de DOMAINE PUBLIC, revue gratuite, libre de droit, à tirage illimité, où les artistes sont invités à donner un travail au domaine public. Vingt-six artistes ont répondu.
A quoi tenons-nous ?
Au cours de la Techno-parade de 1998, Antonio Gallego lance 150 000 tracts Bleu-blanc-rouge depuis la colonne de juillet, Place de la Bastille à Paris.
A quoi tenons-nous ?
Pendant dix jours en 1998 à Stockholm, Alfredo Jaar et ses assistants distribuent pour The gift, 15000 petites boîtes en carton rouge. Imprimées à l’intérieur de chaque boîte, des photos du Rwanda et les coordonnées de Médecins Sans Frontières.
A quoi tenons-nous ?
Le Bureau d’études Bonaccini_Fohr_Fourtcrée Gratosland (zone de gratuité partielle), au CRAC Alsace à Altkirch en 1998, puis FreeLand dans les locaux de la galerie Jorge Alyskewycz à Paris en avril 1999.
A quoi tenons-nous ?
En 2000, dans son action Le cadeau, Jochen Gerz invite les habitants de Lille, Roubaix et Tourcoing, à se faire photographier au Centre d’Art du Fresnoy. Après avoir accepté d’être photographié et après avoir participé à l’exposition des portraits, chacun des 702 volontaires repartira avec le portrait d’un autre participant.
Etc.