(Aphorismes pour un manifeste ridicule)
Il n’y a pas d’images rares.
Une image reproduit toujours une image.
L’image est ce moment précis où un objet reproduit une image.
L’image est sans original.
Les images sont sans originalité.
Toute image est déjà faite parce que culturellement déjà déterminée.
Toute image est une opération.
Il n’y a pas d’auteur dans l’opération que nous appelons l’image.
Les images sont sans auteur.
Lorsque nous faisons une image, nous devons admettre qu’elle est déjà faite.
Plus nous multiplions les images, plus le monde devient une lecture de l’image.
Le monde n’est pas l’origine des images, il n’en constitue pas la source, il en est devenu la visée.
Le monde n’est plus l’origine des images, il est devenu son multiple approximatif.
Faire une image ce n’est pas inventer : faire une image c’est reproduire.
Que je fasse une image où que je prenne une image déjà toute faite c’est exactement la même chose.
Personne n’invente d’images.
Voir n’invente rien : voir reproduit.
Un paysage est une image.
Le paysage est ce moment précis où un territoire reproduit un paysage.
Le paysage n’est pas un objet déjà là que nous pourrions contempler.
Le paysage n’est pas la source de ce que nous voyons.
Le paysage est une invention de notre regard.
Le paysage est un objectif de l’image. Sans quoi nous ne verrions rien.
Le paysage est une opération ininterrompue se réalisant sous nos yeux et à notre insu.
Le paysage n’est vu comme paysage que parce que nous l’investissons d’images déjà assimilées.
Un photographe de paysage (qu’il s’agisse d’un agent immobilier ou d’un photographe reconnu) n’est généralement l’auteur de rien.
Il n’y a pas d’auteur dans l’opération que nous appelons paysage.
L’opération du paysage se rejoue aujourd’hui avec ce que nous appelons les images.
L’image ne déréalise pas, elle opère sur le monde ce que le paysage a déjà opéré sur le territoire. Elle paysage tout.
Toute image renforce la saisie de l’image sur le monde.
Une photographie n’est pas une image (pas encore).
Faire une photographie, ça n’est pas faire une image, c’est au contraire essayer d’y échapper (si c’est possible).
Une photographie n’est une photographie que dans l’exacte mesure où elle se décale des images du monde.
Une photographie est toujours singulière.
Une photographie est produite par un auteur.
Neuf fois sur dix quand nous faisons une photographie, nous faisons une image. Non pas parce qu’un photographe a déjà fait cette image, mais parce que nous voyons déjà tout le temps à travers ce qu’on appelle l’image.
Il n’y a pas de frontière entre image et photographie. Chacune envahit l’autre.
Le triomphe ou la ruine de toute photographie est de devenir image.
Une photographie devient une image lorsqu’elle devient sans auteur.
Une image n’est jamais inscrite dans une œuvre.
Une image est anonyme.
Une image est silencieuse.
Une image peut toujours être reproduite n’importe comment et sur n’importe quoi.
Une photographie imprimée sur un mug n’est plus une photographie, c’est une image.
Le numérique varie à l’infini la reproductibilité des images. Il joue leur jeu.
L’objet numérique, sans rien perdre mais sans ajouter aucun contenu, se reproduit à l’infini sur des supports toujours différents.
L’objet numérique est toujours hyper-reproductible et tout le monde le sait. Tout le monde sauf le monde de l’industrie culturelle qui reste une idiotie de base.
En se reproduisant, l’objet numérique ajoute à chaque fois un nouvel objet aux objets déjà là.
En se reproduisant, l’objet numérique ne se dématérialise pas, il se rematérialise.
L’objet numérique n’est pas immatériel, au contraire il a tout envahi.
L’objet numérique est in-mesurable par sa propre prolifération.
Tout objet numérique est toujours la potentialité d’un nouvel objet, d’une nouvelle reproduction.
Tout objet numérique rend toujours autre chose possible.
Un objet numérique n’est jamais définitivement fini.
Un objet numérique est toujours à la fois une fin et une origine : il est toujours au milieu.
Un objet numérique est sans direction.
Tout objet numérique (comme toute image) est un nœud.
Toute reproduction est aujourd’hui devenue un original parfait puisqu’elle est toujours parfaitement reproductible.
La source n’a pas disparu, elle s’est tout simplement généralisée.
L’original n’a pas disparu, il a seulement tout envahi et aucun artifice juridique, technique ou policier n’y changera rien.
Avec l’hyper-reproductibilité, ce qu’on a définitivement perdu ce n’est pas tant l’origine de l’objet que sa destination.
La nouveauté absolue ce n’est pas que les images n’ont plus d’origine, la nouveauté c’est qu’elles sont sans fin.